dimanche 16 mars 2014

Roland Barthes et le structuralisme



Voici un article sur Roland Barthes. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'on me l'a demandé. Alors que pourrais-je dire sur cet auteur ? Je vais essayé d'expliquer sa pensée en m'appuyant sur son oeuvre principale, Mythologies. Et puis en passant je vais le critiquer un peu parce que j'aime bien critiquer. C'est mon mauvais esprit.




Roland Barthes est un philosophe français né en 1915. Il est l'auteur de nombreux ouvrages. Mythologies est le plus connu.

Sa pensée s'inspire des travaux de Ferdinand de Saussure. Il s'agit donc d'un philosophe structuraliste. En effet pour Ferdinand, chaque mot à un sens (le signifié) qui n'a pas de rapport direct avec le son qu'il évoque (le signifiant). Le signifié ne peut exister qu'en lien avec d'autres signifiés, et donc d'autres mots. La langue est donc une "structure". Un assemblage complexe et subtil d'images qui s'opposent ou se complètent. Selon sa place dans une phrase le "signifié" fluctue.


Ferdinand de Saussure, un homme qui aimait les S et les chaussures



Dans son ouvrage parut en 1957, Mythologies, Roland Barthes expose donc sa méthode. Il s'y intéresse à la symbolique des objets et des mots. Selon lui, en plus du sens, du signifié, tout une cohorte de significations peuvent accompagner certains objets et phénomènes. L'exemple le plus célèbre de sa théorie est la DS. La voiture de Citroën n'est pas qu'une simple voiture. Elle incarne par ses lignes vitesse et modernité. Son prix relativement abordable incarne aussi la hausse du niveau de vie et la modernisation de la société elle-même. Le "mythe" est donc un subtil conglomérat de sens et de signifié. L'objet dépasse son propre sens. Le transfigure. D'où le jeu de mot dans l'article et qui fait que Roland finit par l'appeler la "Déesse".

Mais Barthes va plus loin. Il a conscience que le mythe est une construction intellectuelle. Les lignes de la DS (la voiture de Citroën, pas la console de Nintendo) nous font penser à la vitesse car elles évoquent l'aérodynamisme. Cette signification provient de nos références culturelles. Le mythe s'inscrit lui aussi dans une structure. Il s'oppose et se complète avec d'autres références.


En 1962 De Gaulle survit à l'attentat du Petit-Clamart ... grâce à la DS 19 ! Kennedy aurait dû acheter français.

L'intérêt de cette découverte sémantique est énorme. Et ainsi avec cette méthode, pourtant limitée, Barthes s'adonne à des analyses pertinentes. Mais sa méthode est incomplète. Elle ne fait qu'étudier la structure du langage, sa surface. Il n'est ni historien, ni sociologue, ni anthropologue, et écrit dans les année 60. Ainsi, son article sur "Bichon chez les Nègres". Il y raconte les pérégrinations d'un enfant en Afrique. L'analyse de Barthes est pertinente et juste. L'enfant qui se plonge dans l'Afrique Noire et explore l'Afrique sauvage est mis au rang d'explorateur, d'adulte et de personne supérieure aux Nègres qu'il rencontre. 


Je soupçonne les Africains d'en avoir strictement rien à faire de Bichon sur cette photo ...


Mais là où Barthes s'égare c'est qu'il conclut de façon péremptoire qu'il s'agit d'un mythe "petit bourgeois". On voit toute la pensée marxiste qui perce dans cette remarque. Match était-il acheté uniquement par des "bourgeois" ? Les paysans, les ouvriers, bref un grande partie de la nation française n'a-t-elle pas forgée elle-même ses mythes ? Jugern Habermäs a démontré que l'opinion publique se construisait dans une sphère où se mêle la voix des médias qui prosaïquement se font l'écho des opinions diverses qui agitent la société. Le propre du mythe c'est justement d'en être la synthèse. D'être une image inconsciente qui s'est construite sur tout ces "signifiés" complémentaires ou opposés.

L'erreur est d'autant plus surprenante que Barthes ne cesse de déconstruire les mythes qu'il présente. Il les explique, les analyse, nous montre qu'il s'agit d'image qui nous renseigne énormément sur notre inconscient et la façon dont nous envisageons le monde. Ces mythes (comme avec le cas de Bichon ou avec la publicité) donne naissance à une médiatisation de l'image. Le mythe n'est pas rationnel. Il s'agit d'une "méta-image" qui se sur-imprime.



Inconscient ? On parle de moi ? Allongez vous sur le divan nous allons parler de vos parents.

Et c'est là où ça devient marrant. Parce que Barthes ne s'en prend jamais aux deux mythes majeurs de l'époque. Il s'agit du libéralisme et du communisme. Et pourtant Barthes n'hésite pas à traiter des mythes qui se greffent sur l'analyse marxiste du monde : la pauvre et le prolétaire (au sujet de Charlot, contre-sens total), un ouvrier sympathique ... L'ensemble des mythes forme une "doxa", un discours cohérent et articulé qui permet de comprendre la vision du monde d'un ensemble de personnes. Les travaux historiques de Paul Veyne sur les mythes grecs et romains se sont largement inspirés de cette idée et ont permis de nuancer et de mieux expliquer par ce biais comment les Anciens voyaient le monde. Et ils ont permis rétroactivement de mieux comprendre nos propres mythes modernes qui prennent souvent racine dans ce monde.
Et donc là où Barthes fait fausse route c'est qu'il considère que la doxa est imposée par la bourgeoisie ... Idée étrange. Si la culture française est bourgeoise ce n'est pas dû à une volonté d'"imposer" quoi que ce soit. C'est au contraire lié à la Révolution Française et une volonté d'élévation par le mérite (là aussi un mythe ...). Bref, Barthes ne peut pas en quelques centaines de pages arguer une telle conclusion. Il ne va pas assez loin et n'utilise pas un outillage suffisamment étoffé. 


Hey, Roland ! L'ouvrier Russe, ce serait pas un mythe par hasard ? Tu l'aurais pas un peu oublié en passant celui-là ?


Barthes fait donc lui aussi oeuvre de "mystification". Pourquoi ? Car il n'envisage jamais que justement le communisme puisse être un mythe. L'auteur devient donc lui aussi une fiche de ce petit recueil à son insu. Mais Roland Barthes s'en doute. Il appelait ça d'ailleurs "la mort de l'auteur". Quand celui-ci est happé par son oeuvre. Le livre est autonome. Il ne sert à rien d'étudier les facettes de son auteur pour la comprendre. En un sens ce n'est pas faux. Plus que la vie de Roland Barthes, comprendre l'idéologie communiste qui existe chez les auteurs des années 60 en France permet de mieux comprendre l'erreur du philosophe fan de voiture et de catch que tout ses travaux préparatoires en un sens.


Roland Barthes fume beaucoup et ne regarde jamais quand il traverse la route. Faut savoir vivre dangereusement


Et pour finir d'achever son mythe, le 16 mars 1980 Roland meurt ... renversé par une camionnette d'une entreprise de blanchissage de marque Citroën. Ca ne s'invente pas.

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