La place Maïdan avant et après ... |
J'avais déjà pensé écrire un article sur les évènements en Ukraine. Mais il est toujours compliqué d'analyser à chaud un évènement. Et pourtant certains outils peuvent nous permettre de décrypter ce qui se déroule là-bas. Pour cela deux types d'outils sont à notre disposition. L'histoire et la géographie. Si elles ne peuvent pas jouer le rôle de boule de cristal et nous permettre de deviner ce qui va se passer dans les prochaines mois ils peuvent par contre nous aider à comprendre ce qui se passe en Ukraine. Comment en est-on arrivé là ?
I/ L'Ukraine, un pays pas comme les autres.
A/ Le mythe de l'origine russe
Au IXe siècle les Varègues s'installent dans la région et fondent la ville de Kiev. Ces "Varègues" sont mieux connus sous le noms de "Vikings" chez nous. Bien installé, ils développent leur commerce et s'intègre dans la région. Les Slaves les prénomment "Rus".
Les premiers Russes sont donc des Vikings. Cette intégration n'a rien d'étonnant. Souvenons-nous qu'en 911 les Vikings grâce a Rollon obtiennent eux aussi un duché, celui de Normandie. Le même phénomène s'opère en Europe Centrale. Tout deux sont d'ailleurs ancrés dans le réseau de commerce Scandinave leur assurant richesse et prospérité. Anne de Kiev sera mariée au roi de France Henri Ier ! Le duché ne cesse de s'étendre et atteint les rives de la Moskova.
Des Varègues en voyage touristique. Et si on se fondait une petite cité ici ? |
Mais dès le XIIe siècle le petit duché doit plier face à la pression des tribus qui proviennent de l'Est. Les Tatars, les Mongols et les Coumans affaiblissent l'Etat. Il éclate donnant naissance à des principautés comme celle de Moscou. Au XIVe siècle, le Duché de Kiev proprement dit est intégré à la Pologne soutenue par les grandes puissances européennes.
La Russie contemporaine ne se constitue pas autour de Kiev, mais bel et bien autour de la principauté de Moscou. C'est son centre de gravité qui petit à petit absorbe les espaces environnants pour atteindre l'Ukraine sous le règne de Catherine II. C'est elle qui arrache le duché de Kiev à la Pologne et l'incorpore à l'Etat Russe. La Grande impératrice décide dès lors d'interdire l'Ukrainien.
La carte du duché de Kiev à son apogée. |
On le voit déjà cette première scission pose problème. Quand Catherine II intègre le duché à son empire il s'agit d'une "reconquête". Mais force est de constater que les populations locales ne parlent pas Russe. Elle est obligée de mener une politique d'intégration. Elle interdit l'Ukrainien pour imposer la langue Russe. En soit la chose n'est pas choquante. L'idée de nation n'existe pas encore en Europe. La Révolution française n'est pas encore passé par là. Quoiqu'il en soit Moscou et Kiev ont été séparés depuis 600 ans. On peut légitimement s'interroger sur les liens qui peuvent encore unir ces peuples respectifs.
B/ Un XXe siècle trouble
Le XXe siècle n'aura pas été de tout repos pour la pauvre Ukraine. Durant la 1ere Guerre Mondiale elle devient le champ de bataille qui oppose les forces Allemandes et Russes. En 1917 ce sont les monarchistes "Russes Blancs" et les bolchéviques "Russes Rouges" qui mettent la région à sac. L'Ukraine devient une République Populaire, elle est intégrée dans l'URSS. Il faut savoir que l'Ukraine est une des terres les plus fertiles au monde. Les "terres noires" étaient une manne précieuse pour Staline et la Russie.
Mais la guerre n'est pas finie pour autant. En 1941 elle doit subir l'assaut des Allemands durant l'opération Barbarossa. En 1943 c'est la contre-offensive Russe qui passe par son territoire. A la fin de la guerre on dénombre 8 millions de morts en Ukraine. 7 millions sont des civils.
Le Tchernozium n'est pas une maladie dû à la catastrophe de Tchernobyl mais le noms des terres très riche de l'Ukraine |
La période de la 2e Guerre est trouble. De nombreux Ukrainiens eurent un rôle important comme Stepan Bandera (à ne pas confondre avec Antonio Bandera, lui n'a rien d'un Zorro). Il fonde dans les années 30 l'UPA (armée révolutionnaires Ukrainienne). Bandera est un héros national pour certains, et fasciste qui a collaboré et massacré des Polonais dans des attentats pour d'autres.
Durant la période soviétique l'intégration de l'Ukraine semble évidente malgré la voix de certains nationalistes qui perdurent. Nikita Khrouchtchev passa même une partie de son enfance là-bas. En 1954 la Crimée est officiellement cédée à l'Ukraine. L'URSS ne prend pas de risque à l'époque.
En 1991 lorsque l'URSS vole en éclat le pays est soumis à un référendum. A 90% les Ukrainiens réclament un Etat indépendant !
Alors pourquoi ? Pourquoi quelques décennies plus tard l'Ukraine se déchire-t-elle ?
II/ L'Ukraine, un Etat aux enjeux énorme.
A/ Une situation de poudrière.
L'histoire de l'Ukraine prouve à elle seule que les thèses de Spykman et MacKinder sont exactes. Elle se trouve en effet à la frontière de deux espaces particuliers : le Heartland et le Rimland.
Les concepts de Spykman et MacKinder en une carte. Simple et efficace |
Depuis la haute Antiquité l'Europe centrale est soumise à une double pression : celle des tribus qui proviennent de l'Est et qui cherchent lorsque le climat devient trop difficile ou que la nourriture manque, à s'approvisionner vers l'Ouest. MacKinder considère que les états contemporains poursuivent la même dynamique. Pour asseoir sa puissance continentale l'Heartland doit avoir la main mise sur les littoraux. Pas de puissance mondiale sans puissance maritime ! La carte le montre bien. L'Heartland se confond avec le territoire nationale de la Russie ...
Des Mongols qui font pression |
Spykman reprend les travaux de MacKinder une fois ça surprise passée (sans chocolat la surprise). Les populations qui se trouvent déjà là doivent faire face à cette poussée du Heartland. Sans quoi elles sont directement menacées. L'histoire de Rome ou la stratégie de Staline qui consistaient à répandre le communisme en Europe semble leur donner raison.
Cette dynamique donne une clef de compréhension de ce qui se passe en Ukraine et de la stratégie de Poutine. Pour assurer à la Russie sa puissance il est IMPERATIF qu'elle occupe les zones qui l'entoure. Pas tout le Rimland, mais au moins cette frange qui l'entoure et qui la borde. Or l'Ukraine en fait partie. Céder sur ce point c'est mettre en danger la Russie elle-même !
B/ Une idée de nation qui pose problème
L'autre gros hic de l'Ukraine, c'est justement sa naissance récente.
Comme on peut le voir sur cette carte, de nombreuses aires linguistiques existent en Ukraine. Si comme je l'ai cité préalablement en 1991 90% des Ukrainiens ont voté pour l'indépendance, la Crimée elle a voté en majorité pour rester attachée à la Russie ! Les aires linguistiques montrent que l'est du pays est russophone. L'Ukraine de l'ouest (où se trouve Kiev) se sent plus proche de l'Occident alors qu'aujourd'hui les Ukrainiens de l'est depuis la crise économique de 2008 éprouve une certaine nostalgie de la période soviétique. Une cassure est apparue. Certains Ukrainiens russophones parlent de "fédéralisme" tandis que d'autres parlent d'indépendance. La situation n'est donc pas claire même dans le camp des pro-russes. D'un côté comme de l'autre les divisions émergent.
Elle pose en fait la question de la définition de la nation et d'un Etat de droit mis à mal. Les nostalgiques de la Russie évoquent un passé où le sentiment de grandeur de l'URSS domine. Pour avoir parlé avec une Russe (et oui je suis cosmopolite et sociable) le souvenir de la pauvreté, de l'oppression et de la censure semble avoir disparu. Ou du moins elle semble désormais acceptable si elle est liée à la sécurité et à quelque chose qui légitimerait les difficultés actuelles. Or cela ne semble être ni l'Etat ni la nation. De même jamais l'idéologie communiste qui était le soubassement de cette légitimité n'est abordée. C'est bel et bien la définition de la "nation ukrainienne" qui pose problème.
Elle pose en fait la question de la définition de la nation et d'un Etat de droit mis à mal. Les nostalgiques de la Russie évoquent un passé où le sentiment de grandeur de l'URSS domine. Pour avoir parlé avec une Russe (et oui je suis cosmopolite et sociable) le souvenir de la pauvreté, de l'oppression et de la censure semble avoir disparu. Ou du moins elle semble désormais acceptable si elle est liée à la sécurité et à quelque chose qui légitimerait les difficultés actuelles. Or cela ne semble être ni l'Etat ni la nation. De même jamais l'idéologie communiste qui était le soubassement de cette légitimité n'est abordée. C'est bel et bien la définition de la "nation ukrainienne" qui pose problème.
La Crimée comme on l'a vu sous Khrouchtchev jouit d'un prestige particulier. Sébastopol est en effet une base importante pour la flotte russe. Parler de simple "base" est même réducteur tant le prestige historique de cette ville est importante dans l'histoire russe. Crée par Catherine II elle-même la Crimée fut aussi un lieu de villégiature pour tous les aristocrates russes. C'est pourquoi aujourd'hui encore des zones de la ville sont louées en bail à l'armée russe. On imagine combien la situation peut-être explosive quand on voit que la flotte russe côtoyer la flotte ukrainienne. On comprend mieux aussi la stratégie de Poutine qui consistait à en prendre le contrôle sans violence avant de déclarer la Crimée indépendante.
Pour plus de renseignements sur Sébastopol, un article intéressant ici : http://www.cairn.info/revue-herodote-2010-3-page-66.htm
III/ L'influence européenne
A/ Une zone sensible
L'Ukraine est un enjeux stratégique pour la Russie, on l'aura compris. Mais il l'est aussi pour l'Europe !
Le pétrole et ses pipelines en Europe |
Comme on peut le voir sur cette carte l'Europe est approvisionnée en pétrole et en gaz par des pipelines qui partent de Russie. L'Union Européenne cherche absolument à s'émanciper de cette dépendance en investissant dans des projets qui rejoindraient le Caucase en passant par des zones sous son influence (en bleu sur la carte). Comme on le voit l'Ukraine et la Turquie dans cette optique sont des zones hautement stratégiques. On comprend mieux la volonté de l'UE d'incorporer des pays marginaux (et d'oublier aux passages les pays d'ex-Yougoslavie qui n'ont pas cet intérêt géostratégique à faire valoir ...).
L'Ukraine se trouve ainsi sous l'influence de deux forces qui cherche à l'attirer dans son orbite : l'UE et la Russie ... Le Rimland et l'Heartland ... La forme change mais la dynamique reste la même. De même arriver à incorporer l'Ukraine dans l'influence européenne empêcherait celle de la Russie de se développer et de concurrencer l'Europe.
B/ Des tensions internes
A partir de 1996 l'Ukraine se caractérise par une démocratie parlementaire. Plusieurs partis s'affrontent.
En 2004 on dénote déjà une crise de la démocratie avec la révolution orange. Après des élections jugées frauduleuse et qui permirent à Victor Ianoukovytch de prendre le pouvoir, le peuple se soulève. Il sera finalement élu en 2010. La crise économique de 2008 lui donna un coup de pouce. Sa politique se caractérise par un rapprochement avec la Russie. L'exercice de son pouvoir se caractérise par un autoritarisme féroce qui lui vaut de voir rayer l'Ukraine des pays libres.
En 2013, son refus de poursuivre les négociations avec l'Europe et de ne traiter qu'avec la Russie fait craindre aux pro-Europe de rentrer définitivement dans une ère dictatoriale sous le signe de l'influence russe.
La suite ? On la connait. Les émeutes éclate sur la place Maidan et obligent Ianoukovytch à partir. Face à ça, Poutine craint de voir son influence décliner définitivement. Le pays se disloque. D'un côté le pouvoir Ukrainien ne peut admettre de voir son territoire et sa nation se morceler (rappelons-nous des 90% de 1996 !) et de l'autre la Russie se voit comme le sauveur de cette population qui parle la même langue et qui souhaite son rapprochement avec l'ancienne mère patrie (d'un fédéralisme souple à une indépendance radicale).
Le problème que rencontre entre autre l'Ukraine est sa jeunesse. La démocratie n'est pas encore intégrée. De plus les problèmes liés aux médias obligent la population à passer par d'autres moyens d'expressions comme la rue. Mais l'apprentissage de la démocratie est ici clairement parasité par la lutte d'influence à laquelle l'Union européenne et la Russie s'adonne dans cette région. Il ne faut pas aussi négliger les phases économiques qui permirent à certains discours de trouver un certain écho dans la population ukrainienne.
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