Voici le contexte historique du film que j'ai présenté au Select à Saint-Jean-de-Luz. Oui je recycle mon travail. Non je n'ai pas honte.
La
Grande Illusion est un film réalisé par Jean Renoir sorti en 1937.
Ce
film s’inscrit dans un contexte particulier puisqu’il est réalisé par un homme
qui a connu la 1ere Guerre Mondiale, mais plusieurs années après la fin de cette
dernière. Ce film est en effet postérieur de plusieurs dizaines d’années à la
signature du traité de Versailles. Et pourtant il s’agit d’un film qui relate
plus fidèlement les réalités de la guerre que d'autres films tournés durant la guerre elle-même.
On peut donc se demander en quoi la Grande
Illusion nous éclaire sur les évènements de la 1er Guerre Mondiale.
Quelle vision ont les hommes en 1937 de cette guerre ?
La 1ere Guerre comme toile de fond et inspiration
Dans
une première partie j’ai d’abord enquêté pour savoir si l’histoire que nous
raconte ce film est une histoire vraie ou une œuvre purement fictionnée. Première étape, trouver la date à laquelle se déroule le film.
Penchons
nous d’abord sur celui qui a fait le film. A-t-il vécu cette guerre ?
S’agit-il d’un témoin qui réalise un film des années plus tard sur un évènement
qu’il a vécu ? S’agit-il d’un témoignage artistique ?
Le
réalisateur Jean Renoir est aussi l’un des scénaristes du film. Penchons-nous
sur sa vie :
Et oui, je n'ai trouvé que des photos de lui âgé ... |
Jean Renoir
(1894-1979)
|
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Jean Renoir est un réalisateur et
scénariste français.
¨
Deuxième fils du peintre Auguste Renoir.
¨
En 1914, quand commence la Première Guerre
mondiale, il est maréchal des logis au 3e escadron du 1er régiment de dragons
¨
En avril 1915 : fémur fracturé par une balle,
lors d'un combat à Gérardmer dans les Vosges
¨
En juin 1915, hospitalisé à Besançon, il
apprend la mort de sa mère à l'hôpital de Nice.
¨
En
1916, il retourne au front et sert dans l'aviation.
|
On
est donc bel est bien en présence un témoin de première plan de la Grande Guerre.
Mais il s'agit aussi d'un acteur de 1er plan puisque Renoir a à la fois servi dans
l’armée de terre et dans l’armée de l’air.
On
peut donc envisager que l’histoire qu’il veut raconter soit réelle. Est-ce le
cas ? Pour répondre à cette question penchons-nous sur le héros principal
du film : le lieutenant Maréchal.
Félicitation à Armand qui est le 1er moustachu a figuré sur ce blog ! |
Si
le personnage du lieutenant Maréchal est sujet à débat quant à la personne
qu'il représente, certains historiens avancent l'hypothèse qu'il s'agirait du
Général Pinsard. Il n'est alors que lieutenant, tout comme le personnage du
film, et connaît les mêmes péripéties. De plus il est un des "as" de
l'aviation durant la période 1916 à 1917. Il remporte 27 victoires aériennes et
reçoit la légion d'honneur. Jean Renoir, lui-même aviateur, n'a pas pu ne pas
entendre parler d'Armand Pinsard. En effet Armand le sauve durant un combat aérien. L'hypothèse
semble donc tout à fait crédible. On peut supposer que l'action du film se
passe en 1916 ; année de captivité du lieutenant.
De
plus une allusion est faite à l'attaque du fort de Douamont qui eut lieu durant
la bataille de Verdun de février à décembre 1916. Le fort connaît des combats
violents durant le mois de février jusqu'à sa prise par les Allemands dans la
nuit du 25. L’histoire
de la grande illusion est donc fortement inspirée d’évènements réels.
La place de la Grande Illusion dans l’histoire
Mais
pourquoi choisir ce film ? Un film aussi ancien ? Et bien parce qu’il
marque une évolution dans la représentation de la 1er Guerre
Mondiale au cinéma.
a) L’origine
du pacifisme
Les
films sur la première guerre mondiale s’intéressent en général à des aspects
précis. En général on cherche à capter la violence du conflit, à le représenter
(bhen oui encore aujourd’hui vous aimez quand ça explose de partout dans les
films …) et à représenter l’ennemi (histoires d’espionnage, de traitrise …).
Ici on s’attarde sur les relations entre les individus dans un contexte
militaire.
Le
film s’inscrit dans le contexte de l’après-guerre qui se caractérise par le
pacifisme. D’après un historien (A. Prost) 1 français sur 6 dans les années 20
aurait été dans les associations d’anciens combattants.
Ah bon ? L'homme de l'affiche a des problèmes psychologiques. Surprenant. |
L’art
durant cette période se caractérise aussi par son pacifisme et cherche à démystifier
les héros. On représente le soldat comme un homme blessé et vulnérable. C’est
le cas du film J’accuse d’Abel Gance qui date de 1919. Des membres de
l’association « les Gueules cassées » jouent même dans le film. Ils
considèrent comme un « devoir de mémoire » de faire comprendre aux
Français l’absurdité de la guerre. Le film d’Abel Gance raconte comment à son
retour un soldat sombre dans la folie (NB : rappelons que la 1er
guerre a fait « découvrir » aux scientifiques l’existence des chocs
post-traumatiques)
b) Un
pacifisme égalitaire
Le
film qui montre la fin de l'aristocratie française et allemande, s'attache à
présenter les rapports de force et les affinités entre les différentes classes
sociales au-delà des frontières et des conflits. Idée aussi selon laquelle la
nation française se serait réellement construite dans les tranchées et que
l'empire allemand y aurait connu sa fin amenant à la République de
Weimar.
Le
film montre que malgré les violences guerrières la fraternisation entre les
hommes est possible. Mais les impératifs politiques peuvent pousser à des actes
injustes et cruels pour tous les participants. Le film semble indiquer (la fin
surtout) que la meilleure position à tenir est la neutralité.
c) L’année
1937
Or
l’année de la sortie du film n’est pas anodine. Elle fait écho à un contexte
international agité. L’année précédente l’Espagne rentre dans la guerre civile
qui oppose Franquistes et Républicains. Les Etats fascistes comme l’Italie et
l’Allemagne soutiennent les Franquistes. La société française est divisée sur
la question. La CGT française par exemple adresse son soutien en juillet 1936
au peuple espagnol.
L’Etat
français, lui, s’oppose à toute intervention. Le 25 juillet 1936 elle interdit
même l’exportation d’armes vers le pays. C’est d’autant plus étonnant que
c’est le Front Populaire dirigé par Léon Blum (1936-1938) qui est alors au pouvoir en
France.
Le
film La Grande Illusion présente donc un pacifisme qui fait écho à cette
situation. La guerre ne permettra pas de rapprocher les classes sociales. Le
pays doit rester sur sa ligne, ne pas écouter les voix qui s’opposent à sa
politique. Même si les tensions et les tentations d’intervention sont de plus
en plus grandes, il faut tout faire pour éviter une guerre où « l’on
aurait rien à gagner » (Raymond Aron).
Conclusion :
La
Grande Illusion nous renseigne donc autant sur la 1ere Guerre Mondiale en
elle-même que sur ses conséquences dans les années 20 et 30 qui sont marqués
par un pacifisme. Parfois, on se demande comment et pourquoi les Français ont
pu « laisser faire » et tolérer certaines attitudes dans les pays
étrangers. Ce film nous permet de mieux comprendre ce pourquoi.
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